PRCU  Programme de Recherche dans le Champ de l'Urbain


Métropolisation

MÉTROPOLES, MÉTROPOLISATION

Précisions sémantiques

Les mutations territoriales des dernières décennies, dans un contexte de mondialisation et d’urbanisation généralisée, ont conduit à développer un nouveau vocabulaire et à faire évoluer notre compréhension du phénomène urbain.

La métropolisation désigne un ensemble de transformations essentiellement qualitatives des territoires. Premièrement, elle se manifeste comme la tradition spatiale de la globalisation de l’économie : les villes prennent de plus en plus d’importance dans les échanges mondiaux, dans un système en réseau qui dépasse les cadres nationaux. Certaines grandes villes concentrent les fonctions commerciales et les flux économiques et financiers. Deuxièmement, la métropolisation induit des mutations spatiales à l’échelle d’une région. Elle affecte les centres urbains mais également l’hinterland, par un étalement urbain diffus caractérisé par des centralités dispersées qui rend difficile la distinction ville- campagne, et par le délaissement de certains espaces (ségrégation socio-spatiale). Troisièmement, la métropolisation se caractérise par un changement dans les modes de vie : éclatement des espaces de vie quotidienne, usage des nouvelles technologies, mobilité accrue des citadins et activités en réseaux au détriment des activités de proximité géographique. La métropolisation est donc plus que la seule « urbanisation ».

La métropole désigne étymologiquement la « ville-mère ». Associé parfois au pays colonisateur vis-à-vis de ses colonies, le mot désigne aujourd’hui, dans le cadre d’une réflexion sur les mutations territoriales, la ville-centre, qui concentre des fonctions clés de commandement et les flux économiques, financiers, culturels et en termes de savoirs, dans un réseau urbain déterminé (qui peut être d’échelle mondiale, nationale, régionale, etc.). La métropole est donc plus qu’une seule « grande ville ».

Les aires métropolitaines ou régions métropolitaines peuvent désigner soit une aire fonctionnelle (un ensemble géographique représentant le territoire vécu ou économique), soit un nouveau territoire politico-administratif (entité autonome ou pour un service urbain particulier).

Métropolisation dans le Sud global

Puisqu’elles sont intimement liées à la mondialisation, ces mutations territoriales s’observent à travers le globe. Dans le Sud global, dans un contexte de pauvreté, la métropolisation prend des caractéristiques particulières, notamment la ségrégation socio-spatiale accentuée, ainsi qu’une informalité généralisée (foncier, auto-construction, activités économiques). Cette dernière traduit des logiques de survie mais peut également être porteuse d’innovations métropolitaines en lien fort avec es réseaux internationaux (via la diaspora, le commerce, etc.). Caracas au Venezuela, Kinshasa en République Démocratique du Congo, ou encore Lagos au Nigeria sont des exemples de ces métropoles extrêmement dynamiques, où se côtoient des classes socio-économiques très différenciées et pleinement insérées dans la mondialisation, parfois au détriment des conditions de vie de certaines populations.

L’aire métropolitaine de Port-au-Prince

Port-au-Prince subit également des mutations territoriales très rapides qu’il est important d’étudier au-delà de la seule échelle de la commune de Port-au-Prince. De nombreux périmètres ont déjà été définis dans des documents de planification ou à travers la fourniture de services pour désigner l’ensemble urbain port-au-princien. Notre recherche adopte comme périmètre l’aire métropolitaine élargie qui correspond à la tache urbaine allant de Léogâne, jusqu’aux limites de Cabaret.

RACINES HISTORIQUES DU DÉSASTRE DU 12 JANVIER 2010 À PORT- AU-PRINCE

Le séisme du 12 janvier 2010 à Port-au-Prince a révélé la vulnérabilité de la ville. On y a recensé plusieurs centaines de milliers de morts et de blessés. Près de 50 % des maisons ont été affectées. Ailleurs en Amérique centrale, un séisme de caractéristiques semblables n’a jamais eu des conséquences aussi dramatiques. Notre démarche de recherche s’est attachée à montrer comment la trajectoire du développement de Port-au- Prince pendant la première occupation américaine (1915-1934) est marquée par un ensemble de transformations (politiques, économiques et sociales) qui, tout en la renforçant dans le système urbain haïtien, ont semé les graines de sa vulnérabilité contemporaine. La période 1915-1930 marque en effet le début de la croissance rapide de la capitale, ce dont témoignent les récits de voyageurs qui traversent Haïti dans les années 1920-1930. Tous soulignent le fait que la capitale connaît à cette époque de profonds changements. Malgré tous les bouleversements qu'a connus Haïti depuis son indépendance, aucun d’eux n’a cependant été assez fort, assez puissant pour remettre en cause le maillage territorial issu de la colonisation. Certes, il y a eu des modifications, des changements, en un mot des remaniements, mais aucune remise en cause radicale. Le passage de la période 1804-1915 à celle de l’occupation américaine (1915-1934) s’accompagne d’un changement des cadres administratif et territorial. Ce glissement d’une structure du pouvoir à une autre signifie en effet la substitution d’une assiette territoriale à une autre, caractérisée par le poids grandissant de Port-au-Prince dans le système urbain haïtien.

Trois moments structurent notre présentation. Un premier moment s'attache à revisiter les processus du poids grandissant de la capitale pendant la période américaine. Le deuxième fait un bilan des modalités de gestion de la ville et rend compte du fait que la centralisation haïtienne, voulue par l’administration américaine au moment de l’occupation, joue un rôle fondamental dans le devenir politique du pays. Il convient par ailleurs de montrer que les actions urbaines depuis l’occupation américaine (1915) jusqu’à la veille du départ de Duvalier fils (1986) du pouvoir ne s'inscrivent pas dans la durée. Elles se révèlent ponctuelles, de prestige et engendrent les dysfonctionnements auxquels est confrontée la ville de Port-au-Prince depuis plus de 50 ans. Enfin, il revient de montrer que la catastrophe du 12 janvier est révélatrice d'une crise généralisée.

DÉMOGRAPHIE DE PORT-AU-PRINCE : LA POPULATION DE L’AIRE MÉTROPOLITAINE DE PORT-AU-PRINCE, 2009 – 2030 : UNE MISE EN PERSPECTIVE

L’agglomération urbaine de Port-au-Prince est actuellement en phase de croissance rapide. À ce rythme, « l’Aire Métropolitaine élargie de Port-au-Prince » regroupera en 2030, plus de cinq millions d’habitants. Cette croissance s’appuie à la fois sur une évolution naturelle soutenue de la population locale et sur un très important apport migratoire.

L’afflux migratoire vers Port-au-Prince résulte de facteurs structurels puissants. Y figurent :

  • Les caractéristiques démographiques d’Haïti : la population est une population jeune et en phase de transition démographique lente qui se répercute d’année en année dans la création d’un volume important de nouveaux ménages;

  • La transition systématique des modes de vie ruraux à des modes de vie plus urbains;

  • Le contexte de pauvreté structurelle généralisée dans tout le pays, en particulier en milieu rural;

  • L’attrait relatif de l’Aire Métropolitaine en raison du niveau de pauvreté comparativement moins élevé, d’une plus grande disponibilité de services et de la diversité d’activités économiques, culturelles et sociales qui émergent dans le tissu urbain d’une grande ville;

  • L’attrait dont fait l’objet l’Aire Métropolitaine de Port-au-Prince s’inscrit aussi dans un courant d’urbanisation généralisé à travers le monde, en particulier dans les pays en voie de développement. Comparativement aux autres pays d’Amérique Latine et des Caraïbes, Haïti accuse un retard dans sa transition urbaine, un retard qu’inéluctablement elle sera amenée à combler.

L’expansion récente de l’agglomération urbaine de Port-au-Prince concerne principalement trois zones : la zone nord-est dans les communes de Croix-des-Bouquets, de Thomazeau, de Ganthier et de Cabaret, la zone ouest dans les communes de Gressier et de Léogâne et la zone sud-est dans les communes de Pétion-Ville et de Kenscoff. Cette expansion est concomitante d’une saturation progressive (selon les modes d’occupation actuels) des espaces plus proches du centre-ville de Port-au-Prince.

Les trois zones sont confrontées à de graves problèmes d’étalement urbain rapide et non planifié. S’y développent des territoires « urbanisés » de plus en plus étendus, à dominante d’habitat résidentiel informel dans un contexte de grande vulnérabilité environnementale : naturelle et anthropique.

Compte tenu du fonctionnement institutionnel actuel, l’extension urbaine dans ces trois zones s’impose comme une réalité inéluctable et irréversible… qu’il importe, par contre, de façon urgente et prioritaire « d’apprivoiser » dans une perspective de développement durable. La mise en place de modes de gestion intégrée de ces espaces en voie d’urbanisation rapide implique à la fois la coordination de divers paliers gouvernementaux, d’organismes internationaux et la participation des instances représentatives de la population locale.