PRCU  Programme de Recherche dans le Champ de l'Urbain


Habitat

L’HABITAT DANS LA ZONE MÉTROPOLITAINE DE PORT-AU-PRINCE :
PRINCIPALES REPRÉSENTATIONS, DÉFIS, OPPORTUNITÉS ET PROSPECTIVES

Cinq phénomènes connexes caractérisent aujourd’hui l’habitat dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince (ZMPAP) : un étalement urbain accentué, un processus accéléré de bidonvilisation de la périphérie, une densification et dégradation rapides des quartiers centraux, une vulnérabilité significative face aux risques environnementaux, et un important déficit quantitatif et qualitatif de logements causé – entre autres – par une pression démographique sans précédent. En réponse à ces déficits, les habitants de la métropole ont développé toute une série de solutions informelles dans les secteurs du foncier, du crédit, de l’immobilier et de la construction. Paradoxalement, une série de représentations sur l’habitat largement répandues auprès des acteurs locaux et internationaux du domaine de l’aménagement associent l’informel aux causes fondamentales des problèmes de la métropole. Ces représentations accordent aussi une confiance démesurée à l’égard du potentiel de transformation issu des lois et des grandes opérations de planification fondées sur la régularisation foncière et l’éradication des solutions informelles, souvent perçues comme « anarchiques ». Indépendamment des intentions véhiculées, ces représentations tendent à légitimer la formulation de politiques et de projets peu adaptés aux besoins des habitants les plus pauvres, fomentent la discontinuité et la superposition de plans et de programmes, appauvrissent le débat sur les pistes de solutions, occultent les finesses et les opportunités des solutions informelles et enfin, limitent la possibilité de mobiliser à leur plein potentiel les ressources, les professionnels et les acteurs locaux.

Le secteur de l’habitat dans la métropole est de moins en moins en mode ad-hoc comme lors de la phase d’urgence post-désastre. En revanche, il est de plus en plus tributaire d’un mode de fonctionnement « permanent », mais dépendant d’une structure à caractère national encore fragile. Des interventions structurantes axées sur le développement économique, la gouvernance, le régime foncier, les infrastructures, les espaces publics, le financement, l’industrie de la construction, et la gestion environnementale sont certes nécessaires. Cependant, ces interventions seront peu viables s’il n’existe pas au préalable un questionnement rigoureux de ces représentations sur l’habitat. Elles seront de plus peu bénéfiques si elles compromettent les avancées des dernières années et entretiennent davantage la superposition de structures de gouvernance et de plans. Au contraire, elles méritent de bâtir sur les réalisations récentes et sur les opportunités et ressources existantes. Les bailleurs de fonds peuvent contribuer à soutenir cette continuité, à créer les conditions favorables pour une remise en question de ces représentations, à la construction d’un dialogue plus riche sur l’habitat, et à faciliter la participation active des professionnels haïtiens, des entreprises locales et du secteur informel à la prise de décisions sur la transformation de la métropole.

UNE NOUVELLE VILLE EN CINQ ANS : LE CAS DE CANAAN

Canaan est un important établissement humain informel à 18 km au nord de Port-au-Prince. Héritage du séisme de 2010 suite à la déclaration d’utilité publique de la zone pour y aménager des camps de sinistrés, cette « terre promise » autrefois inhabitée héberge aujourd’hui plus de 250 000 personnes informellement installées.

Au travers d’un narratif chronologique factuel de l’évolution du secteur, la présente étude cherche à dégager les représentations discursives du phénomène ‘Canaan’ et les actions respectives conséquentes de quatre groupes de parties prenantes : la société civile, les Cananéens, l’État et les ONG. L’étude démontrera en premier lieu que la société civile perçoit Canaan comme un hyper-bidonville anarchique et menaçant.

Il s’agit d’une représentation négative posant plusieurs risques dont la marginalisation, le sous- investissement et d’éventuelles opérations de restructuration urbaine en décalage avec la réalité. Interrogeant cette représentation péjorative, l’étude fera, en second lieu, valoir la vision des Cananéens de leur territoire, laquelle s’oppose à une telle caricature. En effet deux tendances pointent vers cette conclusion, soit la volonté affirmée par certains de ne pas reproduire les caractéristiques indésirables des bidonvilles, et les visibles capacités auto-organisationnelles de la population en termes d’aménagement et de contrôle du territoire à défaut d’appui institutionnel significatif. En troisième lieu, l’étude cherchera à mettre au jour la vision et l’action de l’État à l’égard de la zone, un État dont l’absence et l’inertie ont été et sont encore abondamment dénoncées sans plus de nuances, faute d’investissements immédiats et d’actions « visibles » sur le terrain.

Or dans les coulisses, l’État a depuis 2011 entrepris une démarche de restructuration de Canaan par la commande de divers plans d’urbanisme. Ceux-ci traduisent la volonté d’intervention des autorités et rendent visibles leur dessein de « formalisation » du secteur. Enfin, quatre ans après la genèse de Canaan une poignée de bailleurs et d’ONG (greffés ou non aux projets de l’État) ont brièvement posé pied sur le territoire suivant une volonté d’accompagnement et d’amélioration des conditions de vie de la population. Or leurs initiatives se veulent structurantes mais demeurent modestes, tant temporellement que financièrement au vu de l’immensité des besoins. L’étude cherchera à dégager les visions et approches de ces bailleurs et ONG tout en exposant les grandes lignes et impacts de leurs interventions.

L’étude se conclura par une réflexion prospective quant au devenir de la zone, et ce, plus particulièrement en regard de la mise en œuvre du dernier plan d’urbanisme en cours de consolidation.